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Lean management en couleurs : Entretien avec Eric Mellet

Lean management en couleurs : Entretien avec Eric Mellet

Interview d’Éric Mellet

Fondateur de One&All : Conseil en transformation organisationnelle positive

Consultant, auteur et Coach Positive Organisations and People(POP).

Président de SOL France autour de la mise en œuvre des pratiques de l’Organisation Apprenante.

 

Quelles sont les liens entre SoL France et le Lean ?

La communauté de Sol France comte parmi elle de nombreux acteurs du Lean, à commencer par Jacques Chaize[1], co-fondateur de Sol France et auteur notamment du livre « Apprendre à apprendre avec le lean : Accélérateur d'intelligence collective ».

C’est au début des années 80, sur fond de crise pétrolière, qu'Arie de Geus, alors Directeur de la Prospective du Groupe Royal Dutch Shell, cherche avec son équipe à définir les conditions de la survie et de la pérennité des entreprises. ll se tourne alors vers le MIT où il rencontre Peter Senge pour qui son expérience et ses réflexions, constitueront une des sources d’inspiration majeure pour son ouvrage « La 5ème Discipline ». Ainsi l’Organisation Apprenante met en musique le Co : Co-initier, Co-créer, Co-sentir, Co-évoluer etc…

C’est véritablement un nouvel état d'esprit. De nouvelles pratiques permettent de faire émerger un futur désirable et cela, pas seulement pour les actionnaires mais pour toutes les parties prenantes de l’écosystème de l’entreprise... Pour les acteurs de l’Organisation Apprenante, cela nécessite de suspendre ses habitudes, son jugement et de s'ouvrir au monde avec un regard neuf. Dans le jargon de SOL, nous travaillons par exemple sur les modèles mentaux, les biais, les priori, les « bruits », qui distordent la réalité.

 

Et le Lean ?

Je ne suis pas un spécialiste du Lean mais il me semble qu’une vision parfois très mécaniste et très outillée du Lean, a pu parfois en altérer l’esprit. Ainsi, initialement fondé sur les principes japonais du Kaizen (amélioration continue), certains de ses adeptes n’ont semble-t-il retenus du Lean que les dimensions de « gains de productivité » et de « réductions des coûts ». Dans le cadre de l’Organisation Apprenante, on n’envisage pas les entreprises comme des machines, mais plutôt comme des organismes vivants. Inspirée par l’observation de la nature qui nous offre le fabuleux spectacle du vivant, l’efficacité d’un vol d’étourneaux en chasse par exemple, nous invite à penser de manière systémique et organique pour observer la complexité d’une organisation, imprévisible et incontrôlable, celle d’un monde devenu VUCA. Comment se forme et se déforme-t-elle ? Comment sont initiés les changements de direction ? L’université d’entreprise que j’avais créée au sein de L’Oréal, dans les années 2000, était empreinte de cette dimension organique. Initialement fondée sur l’expérience du terrain et une forme d’intuition, mettre des mots intelligibles pour mes managers de l’époque s’est avéré une entreprise ardue. La découverte des travaux de recherche de Peter Senge ont été comme un déclic à l’instar de ceux de Dee Hock, le créateur du réseau Visa international. Fortement inspiré par la biologie, il est d’ailleurs à l’origine du concept d’organisation chaordique, subtil mélange de chaos et d’ordre qui fait le propre du vivant. Sur ces bases, il a imaginé et créé avec un succès extraordinaire, un réseau décentralisé, reconnaissant aux agences locales le pouvoir de décider de ce qui est le mieux dans une démarche très décentralisée tout en préservant une « forme d’organisation » de l’ensemble...

 

 

Votre dernier ouvrage évoque les outils de la psychologie positive. Que peut-elle apporter aux organisations ?

 

La crise a totalement bousculé les repères, les gens ont perdu leurs rituels, et leur cadre sécurisant. Le développement personnel explose. La psychologie positive[2] prend véritablement le contrepied de la psychologie classique qui a concentré ses recherches sur les problèmes psychologiques afin de réparer ou de compenser des manques et des faiblesses. La psychologie positive quant à elle, s’intéresse aux facteurs qui permettent l’épanouissement et la performance des personnes, organisations, institutions. Pour cela, elle s’emploie à identifier et amplifier les ressources et les forces existantes et potentielles. Elle porte son attention sur les facteurs  qui favorisent la santé physique et mentale, le bien-être et ce qui rend les humains épanouis, optimistes, résilients, donc performants. 

 

Pour faire un parallèle qui m’a été suggéré par les équipes du centre de recherche européen de l’hôpital Gustave Roussi que j’accompagnais, la psychologie positive, est à la psychologie ce que l’approche de l’immunothérapie est au traitement du cancer. Elle amplifie les ressources en nous là où la chimiothérapie détruit les cellules malades. L’idée forte est que tant que quelque chose est vivant, c’est qu’une partie reste saine. Donc on cherche à identifier les forces chez une personne, dans une équipe ou une organisation. Ainsi, contrairement à une approche consulting classique où le passé est par essence la « source du problème » ; on va chercher à y trouver ce qui fait que l’on est toujours là et comment on peut s’appuyer sur nos ressources existantes pour imaginer un futur collectif désirable.

 

Au niveau de l’organisation, c’est par exemple ce qu’offre la démarche de l’Appreciative Inquiry. En mettant en lumière les forces et les fiertés, celle-ci renforce la confiance, stimule la créativité et l’engagement pour « embarquer » tout le monde dans une dynamique positive pour innover et cultiver l’espoir de « réussir ensemble ». Chacun(e) est amené à contribuer à la conception et à l’émergence d’une organisation plus propice à l’épanouissement et à la performance.

 

Pour revenir au Lean, selon que l’on axe son attention sur la seule traque du défaut ou qu’au contraire on scrute ce qui fonctionne, on engendre deux formes différentes d’état d’esprit, de croyances et de comportements. Dans le paradigme de « l’inconnu inconnu »[3]. Or, face aux changements que nous devrons adresser, il faudra créer, innover inventer dans l’inconnu inconnu... Cela demande d’accepter d’être perdu dans ses repères une posture plus humble et en même temps avec une confiance branchée sur l’essentiel : le doute.

 

Retrouvez les autres témoignages du livre Lean management en couleurs

Par ordre d'apparition dans les chapitres

Véra Boutinon : Quand les formations passent du Lean technique au Lean Humain
Pascal Oualid : Le lean management en couleurs
Mathias Hivert : Miser sur le digital pour fluidifier votre communication d’équipe
Salvatore Cali : Le Lean bien implémenté, c’est un win/win/win
Mahen Hoolash : Quand le Lean prend de la couleur ou Le Lean, humain avant tout
Anissa MAKHLOUF : Aligner le CODIR avec la matrice Hoshin Kanri 
Laurent Boustiha : Quand les organisations deviennent apprenantes
Hélène Marmelo : Lean RPA, quand les services en redemandent
Michaël Nlandu : Rendre les équipes autonomes
Cédric Derville : Du désengagement managérial à l’Award de la meilleure logistique du marché de la distribution informatique
Anne-Sophie Jolivet : Retour d’expérience : Le Lean chez Tech Data
Sophie Lasserre : Du Lean au Lean green
Fabien Font : Faire coopérer efficacement des acteurs indépendants multiples
Julien Charles : Bien s’engager dans le voyage Lean
Christine Chapus : Progresser ensemble dans un programme collectif
Eric Mellet : La transformation positive des organisations

 

 

[1] Patron de la société Socla, du groupe Danfoss, Jacques Chaize anime des recherches-actions sur le changement des entreprises. Il est aussi auteur de « La porte du changement s'ouvre de l'intérieur » (1992, Calmann-Lévy) et aujourd'hui « Le Grand Ecart » (Village Mondial).

[2] Courant qui s’appuie sur les travaux, Martin E. P. Seligman

[3] De Largentaye, A. R. (2011). Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne noir, la puissance de l'imprévisible. Afrique contemporaine, (1), 157-160.