Lean management en couleurs : Entretien avec Cedric Derville
Du désengagement managérial à l’Award de la meilleure logistique du marché de la distribution informatique Interview de Cédric DERVILLE, Directeur Logistique (Tech Data France) Cédric a été Directeur des Opérations, englobant toutes les fonctions de la Supply chain : Achats, approvisionnements, la production (plasturgie et métallurgie), logistique, et la distribution. Il a suivi plusieurs formations chez TOYOTA à Nagoya (Japon) au Shingijutsu Kaizen Institute Nagoya Japan Cédric est Master Black Belt Lean Management |
Comment avez-vous connu le Lean Management ?
J’ai connu le Lean Management en 1997, au cours de ma première expérience professionnelle, chez JSP International (Japanese Steering Paper), une société japonaise de production de billes de polypropylène expansé pour l’automobile. Ce furent ensuite différentes expériences dans le domaine de l’automobile, chez PSA et HELLA, (pièces détachées automobiles) avant de rejoindre une société de production et de distribution de fournitures de bureau.
Qu’est-ce qui vous a surpris dans le Lean M durant cette expérience ?
Les meilleurs facteurs de succès que j’ai pu rencontrer furent quand le Président du fonds d’investissement était directement impliqué dans la démarche avec par exemple la nomination de « Kaizen Promotion Officers » (KPO). Le Directeur Monde Lean avait un champion Directeur Europe Lean, dont le rôle était de former les KPO (3 sur chacun des 11 sites), d’éduquer les collaborateurs et de pousser les chantiers Lean plutôt sur la production et la logistique.
Le rôle du Directeur Monde Lean était de pousser de l’autre côté de la chaine de valeur (le commerce, le marketing et la finance) et d’acculturer les country managers et les directeurs. L’ensemble de la chaine de valeur était rompu au Lean et avait une vision commune.
Les KPO allaient se faire former à Nagoya, à titre de récompense. La formation durait entre un et trois ans :
La première formation se faisait par le Directeur Europe Lean, puis les apprenants participaient à des chantiers Kaizen sur d’autres sites, accompagnés bien souvent d’un Sensei [1]japonais (et sa traductrice). Une dizaine de chantiers en tout était organisés. Enfin la formation s’achevait par un accompagnement du KPO sur des chantiers kaizen locaux, coachés par un Sensei et par un KPO sénior. Enfin, la personne accompagnée devenait à son tour coach au bout de quelques années de maturité.
Comment le Lean Management vous a-t-il permis d’atteindre vos résultats ?
L’approche était très structurante :
I - Une grande messe annuelle des opérations (production et logistique) où chaque usine venait montrer ses réalisations et les partageait au reste du groupe (tous les KPO de toutes les usines de tous les sites).
II – Challenge aux MUDA (MUDA challenge) : avec des kms de distance gagnés, les m² gagnés, les temps d’attente réduits.
III – Grande messe annuelle européenne sur la plus grosse usine du groupe : une semaine, dans laquelle se réunissaient tous les directeurs de site, tous les directeurs (marketing, finance, …), de tous les pays, en présence du président du fonds et de tous les KPO. Pendant cette grande messe, les résultats et les conséquences de l’ensemble des chantiers KAIZEN (baisse générale de la valeur des stocks, baisse des encours, baisse des coûts, baisse des Lead times et augmentation des taux de service) étaient présentés.
Pendant deux jours nous faisions la revue de la performance. Puis pendant trois jours tous les participants faisaient des Kaizen Blitz. Par exemple : un directeur marketing qui faisait un SMED[2] avec un directeur de la production. L’un des objectifs pouvait être de rationnaliser la gamme (de 15 références n’en faire plus qu’une). Les efforts ne se font pas que sur le SMED mais également en amont, avec une réduction du nombre de fournisseurs, moins de relance pour la finance, moins de recouvrement, moins de crédits … Ce qui impliquait pour les achats, moins de fournisseurs à référencer et à challenger (qualifier le Cahier des charges, la qualité, les revues tarifaires, les contrats, …). Et pour les approvisionnements, cela se résumait à moins de commande à passer. Enfin pour la logistique, cela se concrétisait par moins de multiplication de références à stocker.
Toute l’entreprise était orientée Lean. L’acculturation a été progressive.
3 – Quel est votre retour d’expérience sur la mise en place de la démarche du Lean ?
L’expérience que j’ai pu faire, lors des premiers déploiements, est que je n’ai pas assez consacré d’attention sur le top down[3] et plus sur le bottom up[4]. Les idées venaient du terrain, ils avaient à cœur de la déployer et une satisfaction à les voir se réaliser. Les directeurs appuyaient leur reconnaissance par l’expertise. Comme les directeurs n’étaient pas alignés avec l’esprit Lean, ils se sentaient dépossédés de leur expertise et avaient le sentiment de perdre la reconnaissance.
Le président lui-même n’était pas 100% aligné avec cette méthode. Résultat, plus les chantiers montraient des gains et plus ils luttaient afin que les gains ne soient pas visibles ! Il a fallu intervenir auprès du président pour le pousser à porter les messages du Lean. Ce changement a fonctionné avec certains directeurs : 80% ont fini par adhérer et 20% étaient toujours réfractaires et ont fini par partir.
Quel outil du Lean Management recommanderiez-vous à vos lecteurs ?
La matrice Hoshin, qui permet d’aligner la direction et les opérations. Cette matrice a été mise en place chez Tech Data.
Une vraie transformation a été mise en place : de la place du dernier élève en Europe à la place du best in class en Europe en l’espace de 2-3 ans, avec les mêmes équipes et les mêmes managers. C’est surtout une question de management et donc du facteur Humain ! La logistique Tech Data France vient de recevoir 3 années d’affilé (2019, 2020 et 2021) le Prix CONTEXT de la meilleure logistique du marché de la distribution informatique
Que recommanderiez-vous à nos lecteurs avec votre recul et votre expérience ?
- « Action is everything» (tout est dans l’action) : c’est bien de parler, le plus important est d’avancer. Et là la notion du droit à l’erreur, la prise de risque, le « quick and dirty »[5], sont autorisés. Parfois il faut prendre des risques, quand il y beaucoup de pression commerciale et financière, cela fait peur. Le manager prend la responsabilité du risque.
- « Les pics ça pique» : les approvisionnements vont arrêter de faire des stop et go[6], le commerce arrête de stocker des commandes durant la pause du midi, … Tout le monde comprend qu’il faut faire plus souvent plus petit.
Retrouvez les autres témoignages du livre Lean management en couleurs
Par ordre d'apparition dans les chapitres
[2] Single Minute Exchange of Die ou changement rapide d’outil en moins de 10 minutes
[3] Approche descendante en management (de la Direction vers le terrain)
[4] Approche ascendante en management (du terrain vers la Direction)
[5] Rapide et sale (c’est-à-dire ne pas rechercher la perfection mais tester les idées)
[6] Stop et encore