Lean management en couleurs : Entretien avec Salvatore Cali
Le Lean bien implémenté, c’est un win/win/win Interview de Salvatore CALI, partenaire et directeur associé au Boston Consulting Group (BCG) Master Black Belt pour la numérisation et le management de l’information Après 12 ans de responsabilités en tant que manageur production et qualité chez GE (Capital et Healthcare), Salvatore Cali est membre du BCG depuis 9 ans. Il traite des sujets d’excellence opérationnelle et de conduite du changement. |
En quoi le Lean est-il stratégique ?
Le Lean nous apprend à focaliser tous les acteurs d’une entreprise sur la proposition de valeur. Aujourd’hui nous constatons que si certaines personnes se focalisent sur la proposition de valeur (par exemple à la vente ou au marketing), d’autres (aux opérations) se concentrent sur comment créer de la valeur. Or, quand ces acteurs travaillent en silo (ou chacun pour soi), il se peut que proposition de valeur et création de valeur soient désalignés.
Je vous donne un exemple : la publicité et les agents d’une banque vendent leurs prêts en s’appuyant sur la « simplicité » du processus et la « rapidité » de réponse. Génial ! les clients achètent avec enthousiasme ! sauf qu’une fois que la commande passe aux « opérations », on demande aux clients une panoplie de documents, souvent redondants, et on enchaine avec de longs et complexes processus de validation (workflow). Tout cela avec le seul but de minimiser la probabilité d’insolvabilité. Vous voyez : proposition de valeur et création de valeur ne sont pas alignés. Le « quoi » n’est pas aligné avec le « comment ».
Le Lean est stratégique également parce ce que selon la stratégie d’entreprise, le modèle opérationnel est défini différemment. Par exemple le modèle low cost[1] de Ryanair versus le modèle haut de gamme d’Emirates ou le modèle d’entrée de gamme IKEA versus celui d’une entreprise qui fabrique des meubles sur mesure. En fonction de ce qui est visé (proposition de valeurs), chaque entreprise va s’organiser de façon différente. Un autre exemple : une start-up comme Paypal s’organise en fonction de l’innovation là où un grand établissement bancaire vise la solidité ».
Que valorise le client dans le Lean ?
Lorsque, en tant que client, je paie pour recevoir de la valeur (proposition de valeur), il s’agit d’un échange purement économique : je paie pour un diner au restaurant parce que cela m’évite de faire des courses et de passer 2 heures en cuisine. Je paie une réparation de voiture parce que je n’ai pas de compétences pour la réparer moi-même et cela me prendrait trop de temps pour acquérir ces compétences. Ainsi, en tant que client je « valorise » le temps passé par les employés à créer cette valeur échangée : le temps pour réaliser un plat délicieux ou le temps pour diagnostiquer la faille de la voiture et le temps dédié à sa réparation.
Le client ne valorise pas les temps d’attente, par exemple le temps pour saisir les données de sa voiture dans un système obsolète ou redondant, le temps perdu pour une réparation qui ne résout pas le problème, etc etc… Ces temps sont qualifiés de gaspillages ou MUDA et le Lean aide les entreprises à les identifier et à réduire ces gaspillages .
Le Lean est un « no brainer[2] » : la question de le mettre en place ne se pose pas
Si Le Lean est bien construit et bien implémenté, la question de le mettre en place ne se pose pas : c’est un « win / win / win » (gagnant pour les clients, gagnant pour les employés et gagnant pour les actionnaires). Les employés aiment créer de la valeur dans leurs activités. Typiquement un employé est frustré s’il ou elle doit saisir quatre fois les mêmes données dans des bases de données, car cela ne sert à rien. En revanche, l’employé est ravi de réfléchir à comment mieux servir son client, ou à satisfaire rapidement ses besoins. Ceci est donc valorisant pour l’employé et également pour le client, mieux servi. Et les actionnaires eux aussi y gagnent car ils bénéficient du ROI (retour sur investissement) très rapide du Lean.
Par exemple : une société de télécommunications qui réorganise son processus de mise en connexion peut :
- réduire le temps d’attente de 50% (« win » pour le client),
- réduire les coûts de connexion de 30% (« win » pour les actionnaires) en éliminant le retravail (ou la retouche), la redondance des enregistrements de données,
- réduire les taches frustrantes probablement héritées du passé et dont nous avons du mal à nous débarrasser) (« win pour les employés) .
Au final, le client est content et manifeste son appréciation aux employés. Ces derniers se sentent gratifiés et l’activité du business en sort renforcée.
Le Lean vise à satisfaire les clients, les employés et les actionnaires
Avec le Lean, le ROI[3] est rapide. Les investissements sont relativement légers (le CAPEX[4] n’est pas très important) pour démarrer. Une implémentation d’un ERP[5] peut coûter des centaines de millions d’euros. Alors que pour réorganiser une entreprise afin de baisser les temps d’attente du client, le budget peut être très léger : il nécessite juste un investissement IT[6] basique.
Que recommanderiez-vous à nos lecteurs avec votre recul et votre expérience dans le monde du conseil ?
L’activité du conseil en Lean ne doit pas être pérennisée : le conseil doit aider uniquement à l’implémentation et ensuite, le Lean doit entrer dans l’ADN de l’entreprise concernée. Le conseil est très bien pour le démarrage : il agit comme un booster. Après, cette piqûre de connaissance doit être utilisée à long terme. Acheter un « one shot » de compétences ne suffit pas : il doit être intégré. Le conseil en Lean ne doit pas devenir un consommable à racheter sans cesse.
Retrouvez les autres témoignages du livre Lean management en couleurs
Par ordre d'apparition dans les chapitres
[1] Bas de gamme
[2] Pas de prise de tête
[3] Return On Investment ou Retour sur investissement
[4] Dépenses d’investissement
[5] Enterprise Ressource Planning ou PGI (Progiciel de Gestion Intégré)
[6] Informatique